top of page

Chroniques d'un enfant heureux


J’ai d’abord cru que c’était un pays, le bonheur, un état, un du… puis est venu l’adolescence, il y a eu des incursions dans son territoire, des invasions provisoires des attaques éclair comme des colonnes de Huns qui pillent brulent et puis s’en vont, laissant l’herbe repousser et la nature effacer les traces de leur passage. C’était encore un territoire uni, le bonheur, immense, sans limites visibles, un continent à découvrir, à défricher pour s’y installer durablement…


J’ai cru qu’on pouvait y bâtir des demeures de pierre, avec de beaux toits de tuiles en terre cuite. Je pensais y planter des arbres et prendre le temps de les voir grandir, d’en admirer les fleurs, d’en déguster les fruits. J’ai bêtement imaginé que j’étais de la race des végétaux, que je pouvais y fixer mes racines…

Je n’avais pas vu les grains dans le sablier, je n’avais pas compris qu’aussi nombreux qu’ils me paraissent alors, leur nombre en était compté.


Et puis les premiers bombardements sont arrivés, pour tout faire exploser, pour réduire et morceler… Ce n’était plus un pays, le bonheur, c’était des iles, il fallait nager, fuir d’une à l’autre sans pouvoir tout emporter, essayer de se réinstaller, de reconstruire, et puis fuir à nouveau… un peu comme un ours blanc sur la banquise fragilisée… un équilibre toujours instable, toujours menacé, vivre les muscles tendus, prêts à s’échapper, à sauter pour planter ses griffes dans le prochain morceau qui dérive, toujours plus petit, toujours plus fragile, toujours moins épais.


Plus de la moitié du sable a changé de côté et finalement, j’ai compris ce que je repoussais depuis des années en fermant les yeux pour ne pas le discerner, j’ai dû y faire face et tenter de l’accepter. Ce n’est pas un pays, le bonheur, ce n’est même pas une ile, ni même un bout d’iceberg dérivant et fondant guidé par les vents, non ce n’est qu’un ensemble de points sur la grande ligne, des points même pas appuyés, laissés par un crayon très bien affuté, de minuscules parenthèses, fugaces, fuyantes, fugitives, des poignées de secondes, arrachées au grand malheur qui nous entoure. D’infimes moments sur pause avant que les bobines se remettent à tourner broyant, et repoussant loin de moi ce bonheur parfait, stable, construit et solide que j’avais cru posséder…


Alors j’ai levé les yeux, et malgré les larmes j’ai entendu… discrète, délicate, ténue, sa voix.

Continue de me chercher, j’ai pris ta main, je ne te laisserai pas tomber ! Il existe ce pays sans limites à explorer, mais sois patient, pour le moment tu dois voyager, apprends à le faire léger, vis comme un escargot, avec ta maison sur le dos, et même cela, sois prêt à l’abandonner pour prendre plutôt un sac à dos, qu’il te faudra lui aussi laisser tomber… la porte qui mène chez moi est si étroite que tu ne pourras rien garder, rien emporter, mais n’ai aucun souci, tout ce dont tu as besoin t’attend de l’autre côté, plus que tout ce que tu peux imaginer, mieux que tes rêves d’enfant, que tes plans d’adolescent… du bonheur solide, constant, parfait, permanent et jamais menacé. Tellement grand qu’il y aura toujours des territoires à explorer afin que tu ne finisses pas par t’ennuyer… il existe ton paradis perdu, c’est moi qui l’ai trouvé…



À l'affiche
Posts récents
Par tags
Pas encore de mots-clés.
Nous suivre
  • Facebook Classic
RSS Feed
bottom of page