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Confinés pour mieux décloisonner...



J’aime les paradoxes, vous l’avez compris. Je les aime pour plusieurs raisons, d’abord, parce

qu’ils représentent un équilibre qui me semble juste, un équilibre fait de passions parallèles, deux éléments posés côte à côte, brut et entier, chacun pleinement développé, le double cent pour cent. De l’eau glacée et de l’eau brulante, plutôt que de l’eau tiède.

Et puis je les aime pour l’esthétique, rien de mieux que les contrastes pour faire ressortir la beauté, la vérité ; le plus beau diamant semble perdre de son éclat, posé sur un tissu beige, fané, mais sur un morceau de velours noir…

Bien, revenons à nos cloisons. Nous sommes encore confinés, même si l’horizon d’un possible élargissement semble montrer le bout de son nez, et les murs ne sont pas nos meilleurs amis. Même pour les privilégiés, dont je fais partie, qui ont un jardin, qui peuvent prendre l’air ailleurs que sur un balcon ou par une lucarne, nous sommes limités, bridés dans nos habitudes, et surtout, séparés de ceux que nous aimons, enfants, parents, grands-parents, petits-enfants, amis… par d’invisibles murs qui nous empêchent de partager de vrais moments d’intimité, de détente, d’échange.

Pourtant, par un étrange renversement de situation, l’un de mes chers paradoxes, ces limites dans le monde visible pourraient nous offrir l’occasion d’en détruire d’autres à l’intérieur.

Nous avons, tout au long de ces semaines, retrouvé le temps, découvert ou redécouvert les richesses de l’intériorité, déverrouillé la porte au fond de l’armoire, testé les médicaments qui élargissent le cœur, mais il y a un autre péril pour nos vies du dedans : le cloisonnement.

Nous avons été éduqués dans ce sens et même si quelques efforts sont faits, c’est encore le cas aujourd’hui dans la plupart des écoles. Chaque matière est enseignée sans lien véritable avec les autres. On nous pousse à choisir au plus vite une spécialité et dès lors, le reste n’est plus vraiment important. Tout naturellement, nous apprenons à faire de même dans notre vie sociale. À la maison, on parle tel langage, on respecte certaines règles, mais avec les copines et les copains c’est différent, au club de sport il y a d’autres codes, et à l’église, — pour tous ceux qui pensent encore que l’église est un lieu et un moment — il y a encore d’autres façons de faire, de parler, de se comporter.

Nous avançons dans notre parcours de vie et cette façon d’agir, de vivre, de penser, se fortifie.

Le monde professionnel, celui de la maison, le cercle d’amis, mon univers secret lorsque je surfe seul sur internet…

Sans même y réfléchir, nous avons agencé notre espace intérieur selon le même modèle. Une pensée qui nous ferait mourir de honte un dimanche matin « à l’église, » ne nous pose aucun problème un vendredi soir après l’entrainement de sport. Ce fonctionnement incohérent est possible uniquement parce que nous avons bâti notre façon de penser comme l’intérieur d’un sous-marin, avec des pièces étanches, et insonorisées, totalement coupées les unes des autres, parfois même pourvues de sas, pour passer de l’une à l’autre.

Ce cloisonnement mental a de graves conséquences dans pratiquement tous les domaines de nos vies.

Notre façon d’apprendre est morcelée, ralentie, théorique parce que dans la vraie vie, chaque élément est connecté avec le tout.

Notre vie sociale est impactée, parce que nous jouons un rôle différent, selon la case où nous nous trouvons, nous manquons d’authenticité, nous ne possédons pas de véritables convictions, puisque nos valeurs, nos normes éthiques ne sont pas identiques dans chaque espace et cela nous prive de relations véritables et profondes avec les autres, mais aussi avec nous-mêmes.

Notre conscience est touchée elle aussi, de deux façons. D’une part, les standards différenciés que nous appliquons dans chaque pièce de notre vie intérieure induisent une relativité subjective et d’autre part, parce qu’elle n’est pas totalement dupe, notre conscience traine derrière elle un boulet permanent de culpabilité mal définie, un sentiment pesant et permanent d’être un imposteur.

Bien évidemment, notre relation avec Dieu est elle aussi atteinte par ce mauvais fonctionnement. Dieu est un être exigeant, incorruptible, impossible à manipuler, il apporte avec lui lumière et vérité sans que nous ayons la possibilité d’installer un interrupteur pour l’éteindre de temps en temps. Lui laisser libre accès à notre vie intérieure serait une catastrophe. Il serait capable d’aller fourrer son nez partout, d’observer la moindre de nos pensées nocives, de discerner l’odeur nauséabonde de nos mauvaises motivations, il mettrait en lumière nos petites mesquineries, notre mauvaise foi sans parler de choses plus graves…

Heureusement pour nous, la religion est là pour nous aider, elle nous apprend que Dieu est présent dans certains bâtiments, à certaines heures, avec des « professionnels » pour nous servir à la fois d’intermédiaire et de pare-feu. Les rites, qui peuvent avoir une utilité réelle, sont utilisés pour renforcer ce cloisonnement. On s’habille d’une certaine façon, on parle avec une voix particulière, réservée à cet espace clos — il n’y a qu’à écouter les voix et le vocabulaire utilisés dans ces occasions pour comprendre de quoi je parle.

Je vois certains d’entre vous sourire à cette évocation, vous pensez, comme je l’ai fait avant vous, être exempt de cette affection, mais croyez-en mon expérience, les formes changent et la réalité demeure. Vous pouvez peut-être passer « un moment avec Dieu » en pyjama et sans changer votre voix, mais il est quand même confiné dans un espace fermé. Peut-être la pièce que vous lui réservez est un peu moins austère, mieux éclairée, plus spacieuse, mais cela reste un lieu cloisonné.

C’est là, me semble-t-il, que le confinement peut déboucher sur un début de décloisonnement.

L’assignation à domicile nous a privés du soutien de la religion. Plus de lieu spécial, plus d’ambiances formatées et préparées par des spécialistes, plus de spectateurs pour nous pousser à tenir notre rôle. Nous sommes soit seuls, soit, encore plus difficile, entourés de personnes qui nous connaissent de près, et qu’il est difficile d’illusionner. Et si c’était l’opportunité de commencer — petitement — un grand chantier, le décloisonnement de notre âme.

Si nous réfléchissons quelques minutes, toutes nos cloisons ont en réalité une même origine, la peur, pour ne pas dire la terreur, de ne pas être aimé en l’état, de ne pas être accepté comme nous sommes. Nous avons bâti ces chambres séparées pour servir de décor à des personnages différents en pensant que nous serions plus facilement acceptés, considérés, dans certains cas, aimés. Et nous en avons fermé l’accès à Dieu, parce que nous savions qu’il ne serait pas possible de le berner.

Je ne vais pas vous apprendre une vérité cachée, vous le savez déjà, le seul véritable antidote à la peur est l’amour. L’amour « Premier », celui qui jaillit de la source originelle et mystérieuse : la relation qui lie les personnes du Dieu-Trois-En-Un.

Lorsque Jésus prie son père au sujet de ses disciples, qu’il nomme : « ses amis », il dit ceci : « … que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient un en nous… moi en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient parfaitement un, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.1 »

Nous ne pouvons pas être un avec lui ou avec d’autres humains si nous ne sommes pas d’abord unis en nous-mêmes, devant lui.

Oui, nous avons des fonctions différentes selon les moments, mais intérieurement nous devons transformer notre appartement des années 60 — comprenez un immense couloir avec des portes ouvrant sur des pièces différentes qui ne communiquent pas entre elles — en un magnifique loft où une lumière identique baigne chaque recoin, où le même air se respire partout, où les mêmes valeurs ont cours. Cette lumière unique et bienfaisante est tout simplement l’émanation de Sa présence.

Vous ne pouvez pas imaginer le bien-être qui découle d’une vie décloisonnée. Finie la peur de se tromper de rôle, envolée la crainte de rencontrer des personnages de deux pièces différentes en un même moment, disparu le sentiment d’être un imposteur. La présence de Dieu, sa vérité, son amour, sa paix peuvent régner dans nos vies du matin au soir, et même la nuit.

Alors, soyons réalistes, si nous avons passé nos vies à construire des séparations, il serait illusoire d’imaginer que nous pouvons les détruire toutes en quelques instants, mais nous pouvons commencer, percer de petites ouvertures, les transformer en fenêtre, puis en porte avant de laisser la paroi s’écrouler toute seule. Tout le monde peut manger un éléphant, il suffit de le faire une bouchée après l’autre.

Prenons le temps — nous l’avons – rentrons en nous-mêmes — nous en connaissons le chemin, laissons l’amour nous imprégner, nous imbiber, nous saturer afin que vacciné contre les peurs, nous puissions commencer d’utiliser la masse et le marteau pour faire trembler nos cloisons intérieures.

Je fais mienne la prière du Christ à son Père : « Que je puisse être “un”, unis en moi-même, unis avec toi, pour découvrir la joie d’être “un” avec mes sœurs et mes frères qui œuvrent, à leur rythme, comme moi, à la démolition des cloisons de l’intérieur.

Intérieurement unis avec vous, ou, tout au moins, en chantier pour l’être…

Philip

1 - Jean 17. 21-23

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