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Enfermé dehors... à la recherche de l'armoire magique


M’abaissant jusque dans les profondeurs de mon néant je m’élevai si haut que je pus atteindre mon but

Thérèse de Lisieux, Histoire d’une âme

Un peu plus de deux semaines de confinement, nous sommes à présent dans une routine de crise, un premier paradoxe, mais pas le plus déroutant de ceux que j’aimerais aborder avec vous ce mercredi.

Au hasard d’un petit moment d’écoute d’une radio française, j’ai entendu ce témoignage qui m’a interpellé. Une personne appelait pour savoir comment aider sa fille qui venait d’être libérée de prison, mais ne trouvait aucun moyen de transport pour rejoindre le domicile de ses parents, à l’autre bout du pays. Elle courrait le risque de se trouver à la rue dans le sens le plus littéral du terme ; paradoxalement, elle sortait de prison, mais était enfermée dehors.

Enfermé dehors. Un paradoxe déjà plus lourd de sens que le premier, car c’est malheureusement la condition habituelle d’une immense majorité d’êtres humains. Je ne parle pas ici de la foule des étourdis, dont je fais partie, qui perdent régulièrement leurs clés et doivent passer par le balcon de la voisine, appeler un serrurier ou les pompiers pour rentrer chez eux, non, je parle de ces femmes et de ces hommes, dont je fais aussi parfois partie, qui vivent séparés de leur âme. Enfermés dehors de celle ou celui que nous sommes vraiment, ou plus précisément, de celui ou celle que nous pourrions être.

Enfermés — dedans cette fois-ci — prisonniers volontaires du cercle vicieux de nos sociétés de consommation, plus hamsters qu’humains, nous courrons dans notre roue, sans aller nulle part. Situation bien décrite par mon cher ami dans cette phrase concise, mais terrible « … celui que j’ai choisi, m’a donné juste assez pour survivre et trop peu pour m’enfuir… 1 ».

Captif d’un piège où nous dépensons une énergie considérable pour simplement garder un semblant d’équilibre, un enfermement où ce que nous sommes est essentiellement défini par ce que nous faisons, ce que nous possédons, les lieux où nous nous rendons, et l’argent que nous dépensons. Nous sommes coupés de notre vie intérieure, semblable à des arbres déracinés, qui accepteraient de bruler leurs branches pour produire l’énergie qui leur fournirait une alimentation de synthèse toxique et nocive… jusqu’à l’autodestruction.

La situation imprévue qui nous a enfermés dans nos maisons change la donne. Le hamster n’a plus rien à manger, il n’a plus aucune raison de faire tourner sa roue, et il se trouve que dans le même temps, sa cage s’est ouverte.

Nous ne pouvons plus sortir « dehors », mais il ne nous est pas interdit de sortir « dedans ». Notre confinement physique peut devenir l’occasion de découvrir l’armoire de Narnia 2 qui se cache en chacun de nous. Derrière les vieux manteaux inutilisés et l’odeur de naphtaline qui encombrent notre âme, se trouve une porte secrète, mais bien réelle qui s’ouvre sur un autre monde, bien réel lui aussi.

Tous ceux qui ont déjà, même occasionnellement, trouvé cette porte savent combien le pays qu’elle permet d’atteindre est magnifique, il est régi par d’autres lois, d’autres valeurs, d’autres priorités, la notion de temps, elle-même, y est différente.

Découvrir ce monde intérieur est une expérience extraordinaire, si certains d’entre vous en ont entendu parler sans jamais y pénétrer, si vous avez classé cette information avec celles sur le Yéti, les Dahus ou les extra-terrestres qui aiment la soupe aux choux, je vous encourage à reconsidérer votre position.

Nous sommes à deux semaines d’isolement, or, deux semaines, c’est à peu près le temps nécessaire à notre organisme pour se désintoxiquer de l’adrénaline produite par le stress, lui-même induit par notre obstination à faire tourner la roue. Même pour les hyper actifs, l’expérience devient possible, laissez-vous guider par votre curiosité, ce n’est pas comme si vous aviez beaucoup d’autres alternatives passionnantes pour vous évader, vous avez déjà compté le nombre de grains de riz dans un paquet d’un kilo, vos albums photos sont en ordre et si vous avez une pelouse, vous l’avez déjà tondue deux fois avec un ciseau à ongles. Et puis, ça ne peut pas être pire qu’une nouvelle mauvaise série en streaming…

Découvrir ce monde intérieur est une expérience extraordinaire, oui, je sais, je l’ai déjà dit, mais je veux aller plus loin… nous avons brisé l’isolement, nous sommes rentrés en nous même, et même si c’est intime et différent pour chacun, je serais prêt à parier, que vous y avez découvert, redécouvert, retrouvé l’enfant, l’adolescent que vous avez été, les rêves qu’il avait pour l’avenir, ses espérances, ses craintes, ses doutes et ses incertitudes aussi… Cette reconnexion peut déjà vous occuper utilement pour un certain temps, peut-être pour le restant de votre vie, mais il y a plus… si, si, je vous l’assure.

Découvrir ce monde intérieur est une expérience extraordinaire, mais ce n’est pas une fin en soi…

En vous engageant dans ce voyage vers l’intérieur vous avez entrepris un voyage en terre de paradoxe. Cet univers intérieur est en fait beaucoup plus vaste que le monde extérieur, vous avez rejoint les régions où le contenu peut-être plus grand que le contenant, un peu comme une minuscule étable qui pourrait contenir celui qui a créé l’espace et le temps…

Mais revenons à l’intérieur, ce monde « du dedans » n’est pas une impasse, aussi grand, aussi beau soit-il, il n’est pas un vase clos, il contient lui aussi ses armoires magiques, oui, j’ai intentionnellement utilisé un pluriel, il en contient… un nombre inconnu, mais au-delà de nos capacités de recensements.

C’est le moment où nous avons besoin d’un bon guide, un guide professionnel et Éternel si possible. Certains de ces portails doivent être et rester scellés, ils débouchent sur les profondeurs du mal, une noirceur, une puanteur que je ne veux ni ne peux décrire ou nommer, mais il existe un nombre encore plus grand de passages qui débouchent sur le plus merveilleux des territoires, un royaume magnifique ou l’amour, la beauté, la bonté, le pardon, la vérité, la justice règnent sans compromis.

Nous allons prochainement fêter la Pâque, mais qu’est-ce que la Pâque si ce n’est la célébration de l’incroyable épopée entreprise par celui qui a accompli ce voyage dans l’autre sens pour nous ouvrir l’accès de son royaume ? Il a volontairement quitté les terres d’infini et d’éternité pour se couler dans le minuscule récipient d’une âme humaine, elle-même prisonnière d’un peu de poussière et de beaucoup d’eau. Encagé dans ce véhicule humain, et pourtant plus libre qu’aucun autre avant lui, il a voyagé jusqu’aux sombres contrées de la mort, se chargeant du mal le plus pur, du sombre le plus concentré, de la méchanceté extrême pour finalement les neutraliser par sa contagieuse pureté.

Victorieux malgré son apparente défaite — existe-t-il plus sublime paradoxe ? – il est retourné sur ses terres, mais en laissant derrière lui, pour tous ceux qui le désirent, les portes déverrouillées, pas grandes ouvertes non plus, mais suffisamment entrebâillées pour nous donner envie de les pousser.

Et c’est lui que nous pouvons, que nous voulons rejoindre ! Son éclat est tel que les lueurs qui nous parviennent par les interstices sont éblouissantes. Les parfums de son pays sont si poignants qu’ils s’infusent jusqu’à nos âmes incrédules, les notes jouées en sa présence, nous communiquent une irrésistible nostalgie, mais une nostalgie du futur, une envie de le rejoindre, un avant-goût du jour où nous pourrons pleinement et sans retour vivre en sa présence.

Alors, en attendant, ne restons pas enfermés hors de nous-mêmes, reprenons possession de notre domaine intérieur sans oublier l’essentiel : il n’est que l’antichambre du véritable royaume, un sas, incontournable, pour l’instant. Entreprenons encore et encore ce superbe voyage, cette belle traversée afin de vivre, en pointillé, de magnifiques fragments d’éternité. Nous en rapporterons des brisures de lumière, des éclats d’amour ; ils seront notre chandelle et notre nourriture d’âme pour les chemins qui nous restent à parcourir au pays où les jours de larmes sont nombreux. Récoltons-en un peu plus que pour nous-mêmes, nous n’aurons pas à chercher bien loin avant de pouvoir les offrir ; un baume léger, mais apaisant sur les plaies et les souffrances autour de nous.

Des temps de joie reviendront, sachons garder la carte et la boussole pour retrouver les accès cachés de ces trésors d’âme, soyons déterminés à y retourner lorsque nous aurons l’impression que tout va bien.

Paradoxalement libre et comblé, en ces temps d’enfermement involontaire.

Philip

1 Francis Cabrel. Prendre ma place dans le trafic.

2 Armoire magique dans « Les Chroniques de Narnia » de CS Lewis, elle permet aux enfants de rejoindre un monde parallèle, mais bien réel, ou le temps s’écoule différemment.

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